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Angelina Jolie, Arme de guerre, Bosnie-Herzégovine, Génocide, Purification ethnique, RDC, Sommet de Londres, Syrie, Viol, William Hague
Le 13 février 2014 s’est achevé, à Londres, le Sommet mondial contre les violences sexuelles en temps de guerre. Présidé par le chef de la diplomatie britannique William Hague et l’actrice Angelina Jolie*, envoyée spéciale du Haut-Commissaire des Nations-Unies pour les réfugiés, il a réuni des délégations de plus de cent pays (représentants gouvernementaux, ONG, religieux, experts militaires et juridiques, associations humanitaires et membres de la société civile). En plus des échanges officiels, le sommet a proposé un programme ouvert au public (ateliers, conférences, expositions, films) pour sensibiliser à un mal souvent dissimulé sous l’horreur de la guerre. Et pourtant… Les chiffres sont terribles. Dans un rapport rendu public fin avril dernier, l’ONU rappelait que le viol a été utilisé comme arme de guerre dans presque tous les conflits majeurs des dernières décennies.
Petit rappel historique (non exhaustif)
Au cours de la guerre civile espagnole, entre 1936 et 1939, la propagande fasciste a utilisé la radio de Séville pour inciter les milices franquistes au viol des républicaines et des femmes soupçonnées de soutenir les communistes. Quand les républicains gagnaient du terrain, les franquistes écrivaient sur les murs des villages qu’ils fuyaient : « Le village sera perdu mais vos femmes accoucheront de petits fascistes. » (voir à ce propos l’article de Yannick Ripa, » Purifier et soumettre. La violence sexuelle contre les républicaines durant la guerre d’Espagne « , in Pandora, revue d’études hispaniques, numéro 5, 2005)
Pendant la guerre d’Algérie, l’armée française aurait, selon l’historienne Raphaëlle Branche, régulièrement utilisé le viol comme arme de guerre (voir l’article « Des viols pendant la guerre d’Algérie » , revue Vingtième Siècle, numéro 75, 2003)
Au début des années 1970, le Pakistan oriental, en lutte contre le Pakistan occidental, proclame son indépendance et devient le Bangladesh. S’ensuit une violente vague de répression. Environ 200 000 Bangladaises sont violées par l’armée pakistanaise, laquelle s’emploie à introduire en elles « de purs gènes musulmans » (car elles sont considérées comme à moitié hindoues).
De 1992 à 1996, lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine, environ 50 000 femmes sont victimes de viols en Croatie et en Bosnie. Les hauts responsables serbes font ouvrir des camps militaires, les « camps du viol », par où transitent des dizaines de milliers de femmes livrées aux soldats. Au Rwanda, durant le génocide de 1994, entre 250 000 et 500 000 femmes ont subi des viols. On pourrait aussi évoquer les violences sexuelles commises pendant les guerres civiles au Liberia (1990-1996) ou en Sierra Leone (1991-2002).
Plus récemment dans l’Histoire, le conflit en RDC (République démocratique du Congo) fait, depuis une quinzaine d’années, un nombre incalculable de victimes de violences sexuelles. Le viol y est pratiqué, en groupe et de manière planifiée, par presque tous les groupes armés (rebelles hutus, combattants maï-maï, soldats rwandais, insurgés du M23 et forces congolaises). En 2010, l’ONU surnomme même la RDC de » Capitale mondiale du viol « . » On viole collectivement, en public, pour démolir et pour terroriser. Des femmes, des petites filles et depuis peu des bébés » écrivait en juillet 2013 la journaliste du Monde Annick Cojean, envoyée spéciale à Bukavu, dans l’est du Congo. L’ONG » Human Rights Watch « , entre autres, dénonce l’insuffisance des efforts fournis pour traduire les responsables en justice. Aujourd’hui encore, on estime qu’une quarantaine de femmes et de filles sont violées chaque jour. Car la pratique s’est banalisée : selon l’ONG Oxfam, le viol est même devenu une » norme » pour de nombreux congolais qui ont grandi pendant la guerre.
On pourrait également évoquer les violences sexuelles commises pendant les révolutions du » Printemps arabe « , en Lybie ou en Egypte. En Syrie, depuis le début du conflit il y a un peu plus de trois ans, l’armée de Bachar Al-Assad viole à tour de bras. Suite à des entretiens menés avec des Syriennes, la journaliste du Monde, Annick Cojean (toujours !) en donne des éléments probants. Et montre ainsi un visage méconnu du conflit.
Voir la vidéo Viols systématiques en Syrie : l’arme secrète… par lemondefr
Une arme de terreur mais aussi un outil de purification ethnique et de génocide
Utilisé par les tortionnaires pour soumettre leurs victimes, le viol est aussi, souvent, pratiqué pour » purifier la race » (exemples des franquistes pendant la guerre civile espagnole, des soldats de la Wehrmacht dans les pays slaves entre 1939 et 1945, des responsables serbes, etc.) En Colombie, en Birmanie, au Pérou, au Guatemala ou en Haïti, le viol a été (et est toujours) largement utilisé à des fins de répression politique. Dans des conflits comme en RDC ou en Syrie, le viol de guerre est surtout un formidable instrument de dislocation des communautés. Car le viol de masse attaque directement le tissu social en son coeur. Dans des cultures où la femme est la garante de l’honneur de sa famille, où la virginité avant le mariage est un pré-requis, où l’adultère de la femme est puni de mort, le viol engendre nécessairement une déstructuration de la famille.
De tout temps, le viol a été pratiqué comme arme de guerre. Avec son Histoire des Romains (livre I), Tite-Live est l’un des premiers auteurs à décrire des situations de violences sexuelles en temps de conflit. La pratique du viol comme arme de guerre est malheureusement loin de se tarir. Pendant trois jours, à Londres, les experts ont travaillé et débattu sur les solutions pratiques et concrètes qui doivent permettre non seulement de mettre un terme à ce fléau, mais aussi d’aider ceux et celles qui en ont été victimes à se relever et à retrouver une place dans la société. Il y a en effet urgence.
* En 2012, Angelina Jolie a signé, en tant que réalisatrice, Au pays du sang et du miel, un film émouvant sur les violences sexuelles systématiques perpétrées sur les femmes bosniaques pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine en 1995 :
Pour en savoir plus :
– Voir l’excellent reportage de Zoé Lamazou et de Sarah Leduc sur le viol en RDC : » Congo, la paix violée « (web-documentaire à voir sur France 24)
– Voir ce portrait de la juriste Céline Bardet, qui a passé une partie de sa carrière à traquer les violeurs de guerre : chronique Histoire d’une vie (France Info, 2 août 2014)
– Signez la pétition sur change.org : » Stop au viol comme arme de guerre : Pour un Tribunal Pénal International pour la République Démocratique du Congo «